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Se protéger du bruit, s'entourer des sons qu'on aime

Temps de lecture : 3 min

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Christian Hugonnet est Ingénieur acousticien, Expert près de la Cour d’Appel de Paris et Président de la semaine du son. Il nous évoque l'acoustique, dont les enjeux ne sont pas encore suffisamment pris en compte dans la conception des villes et de l'habitat.

Quelles sont les problématiques actuelles concernant l’acoustique ?

Avec l'urbanisation grandissante, elles sont assez nombreuses. Les bruits vont s'amplifiant et nous nous sommes laissés dépassés. Il devient essentiel de penser l'acoustique quand on parle de construction, de conception de bâtiment, d'architecture de ville. 

L’acousticien est dans le curatif

Tout d’abord, l’acousticien n’est pas dans le préventif mais dans le curatif. On n’a pas pris l’habitude de travailler le son en amont des constructions et de l’urbanisme. Il faut dire que le son n’est pas dans la culture française. Celle-ci est basée sur deux romantismes historiques : le pictural et le littéraire. Même la musique classique est considérée comme « savante », une aberration pour d’autres cultures.  On ne dispose même pas de vocabulaire dédié au son, on emprunte à d’autres vocabulaires pour le définir : chaud, froid, coloré, doux. C’est pour dire le peu de place qu’on lui accorde.

Alors qu’il m’est arrivé de faire un test un jour : j’ai passé au même public deux fois le même film, la première fois avec une bande sonore impeccable, la seconde fois avec une bande sonore dégradée. En sortant, sur le film dont le son était dégradé, les gens ont tous dit que l’image était moins bonne mais personne ne disait que le son était de moindre qualité. C’est révélateur.

L’urbanisation grandissante

Ensuite, avec une urbanisation qui s’intensifie, nous vivons dans une rumeur sans cesse grandissante, les bruits extérieurs sont très nombreux. Qu’il s’agisse de la circulation, des travaux, voire des climatiseurs placés sur les balcons ou les toitures, nous sommes assaillis.
Les premières réglementations d’isolation acoustique dans la construction datent des années 70 ; elles on progressé jusqu’à ce jour. Elles mériteraient aujourd’hui d’être pensées en harmonie avec les contraintes thermiques qui souvent, imposent des isolements vis-à-vis de l’extérieur qui sont drastiques. C’est ainsi qu’en se préservant  fortement du bruit extérieur, avec des triples vitrages par exemple, on risque de découvre alors les bruits de son voisin qui était  auparavant masqué par les bruits extérieurs. Etant donné que nous vivons dans une société de plus en plus individualiste, le fait que notre voisin puisse avoir un impact sur notre vie en intérieur et la perturber est de moins en moins toléré.

La perte des nuances du son

De plus, nous sommes en train de perdre la notion de nuance sonore car on évolue dans un environnent bruyant qui ne désemplit jamais. On ne vit plus la sensation de l’éloignement du son, comme à la campagne par exemple, où l’on peut entendre un tracteur ou un coq à des kilomètres à la ronde. On vit à côté du bruit. Il est près de nous tout le temps. Et notre ouïe, contrairement à notre vue, est à 360 degrés.De même la systématisation du son compressé en dynamique est omniprésent, que ce soit à la radio ou dans la musique, il est partout, et ce dès le berceau du bébé qui se retrouve à écouter un jouet, dit musical, au-dessus de sa tête dès la naissance. Cette absence de silence et même de micro silence, induit en outre une perte de capacité de réflexion et d’attention. On finit par ne écouter l’autre. On parle, mais on ne se parle pas.

Sociétale

Les conséquences décrites par l’Unesco sont sans appel : Avec le bruit on peut assassiner l’homme ou l’asservir. Quand une rumeur ne désemplit pas, cela a un effet abrutissant. Et s’offrir le silence devient un luxe pour beaucoup. En somme nous sommes entrés avec le son également dans la dichotomie riches - pauvres.  On le constate en direct dans les villes, les quartiers les moins chers sont aussi les plus bruyants et inversement. Le calme s’achète et devient de plus en plus rare, donc de plus en plus cher.

Vulgariser le message

Enfin une dernière problématique, celle-ci interne à notre profession, c’est l’ingénieur acousticien lui-même qui est ultra-compétent mais vit dans son monde et utilise un jargon et des codes qui lui sont spécifiques, rendant son langage assez hermétique au grand public. Et c’est un vrai problème pour communiquer et faire passer le message à la société. Cela doit évoluer aussi.

Quelles sont les avancées actuelles ? Y’a t-il eu prise de conscience ?

C’est l’une des raisons pour laquelle nous avons créé La Semaine du Son qui permet au grand public de rencontrer des spécialistes et d’échanger de manière sereine dans des espaces dédiés.

En terme de prise de conscience, on avance, mais on est encore loin du compte à vrai dire. Il faut rendre ces priorités européennes ou internationales, ce pourquoi c’est désormais entre les mains de l’Unesco. On aborde enfin les vrais sujets. Le 31 octobre 2017, à partir de la charte de la Semaine du Son, 195 pays ont signé une résolution pour la promotion d’une bonne pratique sonore comme élément prioritaire de l’architecture des villes. Les villes de demain seront pensées en fonction du sonore. Il faut inverser la tendance, renverser notre système de perception, penser le son en amont. Nous lançons d’ailleurs cette année un concours national auprès des 21 écoles d’architecture et des écoles d’urbanisme avec Saint-Gobain notamment.

Par exemple dans une rue de ville, les murs parallèles se renvoient les sons et les gardent prisonniers, alors qu’il suffirait d’incliner légèrement les façades pour que le son puisse partir vers le haut, pour le désengorger en quelque sorte. Il existe déjà des sols absorbants, des façades végétales. On a déjà beaucoup de solutions mais qui ne sont pas forcément appliquées. A Tokyo, l’asphalte est absorbante, ce qui fait tomber le bruit de roulement des véhicules. On a encore beaucoup de travail.

Que serait une ville pensée de manière sonore ?

Ce serait une ville intelligente car ce serait une ville qui écoute, qui prend le temps d’écouter. Nous disposons en France d’un potentiel visuel phénoménal. La France est belle. Si on y intègre l’aspect sonore alors on devient les rois du monde. C’est tout de même paradoxal, on vit dans un pays qui fabrique les plus beaux instruments de musique au monde et on ne fait pas attention au son.

Il ne manque pas grand chose pour rentrer dans la danse, mais il faut démocratiser le son, en parler avec des mots simples. Il faudrait que ça s’apprenne dès le plus jeune âge, que ça passe par l’éducation.

Et puis bien sûr il y a la question du financement. Un pays ou une ville qui investit sur le son ne perd pas d’argent. Au contraire, ce n’est pas une source de perte financière. Des enfants qui se concentrent mieux sont de meilleurs élèves et un vivier pour le futur du pays, des malades qui guérissent plus vite dans un environnement acoustique serein, coûtent moins chers à la société. Financer le sonore est un investissement pour l’avenir.

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